vendredi, novembre 22, 2024

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Sénégal : Le piège du salaire minimum garanti

Dans un pays où une chambre descente ne se loue pas à moins de 50 000 francs Cfa, un travailleur peut-il vivre avec le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) ? La réponse est non pour une centrale syndicale comme la Cnts/Fc, qui propose un relèvement du plancher.

Assises en petits groupes, sous le regard protecteur de leurs « agents », les domestiques guettent avec impatience l’arrivée de potentiels employeurs. Les discussions sont ponctuées d’éclats de rire. Rien ne semble les perturber, ni les regards insistants, parfois inquisiteurs, des passants ni les klaxons stridents des voitures qui se disputent l’interminable Rond-Point Liberté 6.

Mais cette ambiance joyeuse n’est que façade. Elle cache mal les angoisses et les peurs de ces femmes de ménage, cuisinières, baby-sitters…, dont la plupart est payée au lance-pierres, souvent moins que le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), soit 52 500 francs Cfa. Presque fatalistes, ces dames qui viennent, pour la plupart, de l’intérieur du pays, trouvent inutile d’exposer leur quotidien difficile à un journaliste. « Je ne sens ni le besoin ni la pertinence de m’adresser à la presse ; ça n’a aucun sens. Nos problèmes seront toujours là », abdique l’une d’elles.

« Allez de l’autre côté, en direction de la station-service, vous trouverez quelqu’un », suggère un des agents.

Elle s’appelle Ndèye Fatou, la vingtaine, mine éteinte. Elle accepte de jouer la porte-parole de ses camarades. Elle confie : « Le métier de domestique ne nourrit pas son homme au Sénégal. Beaucoup de bonnes perçoivent 30 000 à 50 000 francs par mois. Or, nous devons nous nourrir, payer le loyer, nous occuper de nos parents qui sont au village, entre autres charges. C’est intenable. »

De 32 000 à 52 500 F Cfa

Rencontré à la médina, Kéba Sané, agent de sécurité, est presque dans la même situation que Ndèye Fatou et Cie. Ses maigres revenus ne lui permettent pas de joindre les deux bouts. Conséquence : à 50 ans révolus, il est toujours célibataire. « Je ne vis pas avec mon salaire, je survis, nuance-t-il, l’air décontracté. Je n’ose même pas me marier parce que je suis incapable de prendre en charge financièrement une femme. »

Pourtant les organisations syndicales croyaient avoir mis à l’abri d’une telle précarité les travailleurs sénégalais. Ils ont réussi à faire passer le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) de 36 243 francs Cfa à 52 500 francs Cfa.

Dans le secteur formel, ce plancher est respecté. Du moins, officiellement. « Nous n’avons pas encore reçu de réclamation au niveau de nos bases, qui sont parfaitement informées de la hausse du SMIG », rassure Cheikh Diop, secrétaire général de la CNTS/FC.

Dans le secteur informel par contre, la réalité est autre. Beaucoup d’agents de sécurité et de domestiques, par exemple, ont un salaire inférieur au SMIG. Ce qui les maintient dans la dèche permanente autant, sinon davantage que le smicard lui-même, qui peine à subvenir à tous ces besoins essentiels avec son niveau de traitement salarial.

L’augmentation du Smig a le résultat d’un combat de longue haleine. Elle est le clap de fin d’un interminable feuilleton de négociations entre les organisations syndicales, le patronat et le gouvernement du Sénégal.

« Il s’agissait pour nous de renégocier le taux horaire du SMIG qui n’a pas été revu depuis plus de 20 ans, appelle Cheikh Diop. En 2018, nous avons réussi à négocier l’augmentation du SMIG. C’est ainsi que nous avons signé des accords qui sont modelés jusqu’en 2019. »

Du SMIG au SMV

Mais le secrétaire général de la Cnts/Fc signale qu’il faudra négocier un autre salaire-plancher. « Le Sénégalais lambda ne peut pas vivre avec le SMIG », admet Cheikh Diop dont le syndicat préconise une augmentation de salaire plus conséquente pour améliorer les conditions de vie des travailleurs.

La partie est loin d’être gagnée. Le patronat se crispe. « La proposition que nous avons reçue ne nous agrée pas du tout, révèle le responsable syndical. Une augmentation de 2% sur les salaires est dérisoire. Le coût de la vie a grimpé et les salaires sont restés statiques. Il faudrait qu’on nous comprenne et qu’on aille vers cette hausse. »

Lors de la remise des cahiers de doléances hier, mercredi 1 mai, à l’occasion de la Fête du travail, le Président Macky Sall a écarté, au nez des syndicats, toute idée de hausse des salaires.

Au moment où la France expérimente le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance), la CNTS-FC théorise le SMV (Salaire minimum vital). « Le salaire minimum vital se négocie en termes de pouvoir d’achat, du panier de la ménagère, du loyer, etc., suggère Cheikh Diop. Il y a des indicateurs qui peuvent permettre aux partenaires sociaux de déterminer le SMV. Et probablement, il sera fixé à un peu plus de 100 000 francs CFA par mois. »

Faudrait-il que le patronat respecte la loi en termes de rémunération pour que les travailleurs du secteur formel puissent vivre avec le minimum. Pour les domestiques et autres travailleurs de l’informel, il faudra sans doute une autre solution.

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