samedi, septembre 28, 2024

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L’agence Bloomberg avait révélé, dans une dépêche du 4 juin 2024, que le Sénégal a levé, sur les marchés internationaux de capitaux, la bagatelle de 750 millions de dollars américains, soit 450 milliards de francs Cfa. L’information a été très largement relayée par les médias. Le gouvernement daigne alors, dans un communiqué en date du 6 juin 2024, confirmer l’information, soulignant avoir réalisé l’opération «avec succès». L’organisation Forum civil, qui s’investit pour la transparence dans la gestion des affaires publiques, s’était interrogée, par la voix de son coordonnateur, Birahim Seck, sur les conditions de réalisation de cette opération. «Le ministre des Finances et du budget doit nous édifier sur le choix de JP Morgan Londres. Le problème de la transparence de l’intermédiation demeure», demande-t-il. Le gouvernement n’a encore fourni la moindre réponse à cette interpellation publique. A priori, on pouvait être indulgent à l’endroit de cette opération car, dès l’installation du gouvernement dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko, des voix, les plus autorisées, laissaient entendre que la situation financière héritée du régime de Macky Sall était catastrophique et qu’il fallait parer au plus pressé pour trouver des ressources financières.

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Pourtant, le 11 avril 2024, le nouveau régime avait encaissé 324 milliards de francs Cfa, fruits d’un prêt garanti par la Banque africaine de développement (Bad) et autorisé par le Fmi, en décembre 2023, pour permettre de passer le premier trimestre de 2024 marqué par une période électorale.

L’opération cachée, même au Fmi : Un scandale !

Les objections formulées quant à l’opération de levée de 450 milliards de francs Cfa étaient tout bonnement ignorées. Ainsi, le fait que le Sénégal ait cette fois-ci emprunté au taux le plus cher de son historique d’endettement, à savoir 7,75%, adjugé aux investisseurs, sur une maturité aussi courte de sept ans, ne devait pas étonner. Quel est le taux définitif si on intègre les commissions et autres frais d’intermédiation gardés confidentiels ? Le gouvernement avait souligné avoir levé les fonds pour consacrer les deux tiers à «optimiser davantage le service de la dette». Allez savoir la logique d’emprunter à des taux les plus chers, pour racheter des dettes moins coûteuses ! Les brillants économistes sénégalais, qui parlaient souvent de ces questions, se sont subitement tus.

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Nul ne cherche à insister pour savoir dans quelles conditions la banque intermédiaire JP Morgan a été choisie, sans aucun appel à la concurrence, et que l’opération présentée comme un eurobond ne l’est point et se révèle plutôt être une banale opération de placement d’obligations directes du Sénégal auprès d’investisseurs ciblés. Dans une opération classique d’eurobonds, du style de celles réalisées les dernières semaines par la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Kenya, et par le Sénégal sous les régimes de Abdoulaye Wade et Macky Sall, la transparence est de rigueur sur les modalités du choix de la banque conseil, les frais et commissions d’intermédiation payés. Mieux, «un road show» est organisé à l’intention des potentiels souscripteurs, avec l’assistance des institutions financières internationales publiques. Le modus operandi d’un eurobond voudrait une publicité préalable de l’opération et que les souscripteurs proposent, au cours d’une séance publique, des taux de financements affichés à l’écran, que le pays demandeur apprécie et négocie avant de distribuer le portefeuille selon ses propres critères d’appréciation. Le public est informé, jusqu’à la nomenclature des dettes rachetées à l’occasion !

Il n’en est véritablement rien de la première opération de levée de financements privés que vient de mener le ministre des Finances et du budget, Cheikh Diba, en dehors des marchés financiers régionaux. JP Morgan n’a eu à démarcher que ses clients privilégiés, et des investisseurs traditionnels non consultés ou approchés font une moue frustrée. D’autres curiosités pouvant renforcer la suspicion sont également notées. L’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, présenté comme un Vrp de JP Morgan, a été reçu par le Président Faye, le lendemain de l’opération «fast track» de levée de fonds, alors qu’il était jadis férocement pourfendu par Ousmane Sonko. Simple coïncidence ? En outre, des médias ont pu révéler que des cadres encartés au parti Pastef avaient été, jusqu’à une période récente, des collaborateurs de JP Morgan.

Le Fmi, un «lanceur d’alerte» pour l’Ofnac

La mission qu’une équipe du Fmi, a effectuée du 6 au 19 juin 2024, pour une revue du programme en cours avec le Sénégal (2023-2026), s’est conclue par un coup de tonnerre. Edward Gemayel, chef de mission, a révélé, au cours d’une conférence de presse à Dakar, que «le Sénégal traverse une période de surfinancement. Le pays a emprunté plus que nécessaire, conduisant à une liquidité excédentaire». Il souligne que le gouvernement dispose actuellement de plus de liquidités que nécessaire. «Ce surplus de financement résulte principalement de l’émission d’euro-obligations (eurobonds) des 3 et 4 juin 2024.» Ce qui est fait est fait, et le Fmi semble donc se résigner à «discuter avec le gouvernement de l’utilisation de ce surfinancement pour effectuer des opérations de gestion du passif». M. Gemayel ajoute, non sans saveur : «C’est-à-dire racheter des dettes à court terme plus coûteuses avec cette liquidité à plus long terme et moins coûteuse.» Seulement, on remarquera que le taux de 7,75%, déjà souscrit par le Sénégal, ne saurait être moins coûteux que les dettes à racheter !

De toute façon, le principe préconisé par le Fmi pourrait apparaître simple et Mesmin Koulet-Vickot, représentant-résident du Fmi à Dakar, nous l’explique de manière didactique : «Le Sénégal a emprunté plus que nécessaire pour ses besoins actuels, créant ainsi des fonds excédentaires disponibles. La gestion du passif implique de réduire les coûts de la dette et d’améliorer la stabilité financière à long terme. Les fonds excédentaires, ayant des taux d’intérêt plus bas et des échéances plus longues, permettraient de rembourser des dettes plus coûteuses à court terme et de bénéficier de coûts d’emprunt plus bas sur une période plus longue. Cette stratégie permettrait d’optimiser la structure de la dette, de réduire le surfinancement et de renforcer la soutenabilité de la dette.» Question à Mesmin Koulet-Vickot : en langage plus clair, le Sénégal avait-il un besoin vital de faire ce nouvel emprunt ? Réponse plus ou moins embarrassée : «Véritablement pas.» Pourquoi le Fmi, conseiller du gouvernement, a-t-il pu alors laisser faire ? Le représentant résident à Dakar consent à lâcher : «Non, le Fmi n’était pas informé en amont de cette opération.»

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Le fait que cette opération ait été réalisée dans le dos du Fmi est de nature cavalière et rajoute à la suspicion. Pourquoi diantre se cacher du Fmi et mettre l’institution financière devant le fait accompli, alors que la transparence dans ces opérations à gros sous doit être totale, pour éviter, à tout le moins, tout soupçon de prise illégale d’intérêts ou de versement de rétro-commissions ? Est-ce de la simple malice que, dans son communiqué numéro 24/226 du 19 juin 2024, le Fmi se félicite du renforcement des pouvoirs et des moyens d’action de l’Office national de lutte contre la corruption (Ofnac) et de la protection des «lanceurs d’alerte» ? Doit-on redouter que cette affaire ne finisse par gêner les relations du Sénégal avec ses partenaires ? Le gouvernement ne semble pas être très à l’aise avec ce dossier. La communication, à l’issue des conseils de ministres du 5 juin 2024 et du 12 juin 2024, donc postérieurement à l’opération de levée de fonds, continue étonnamment de faire l’impasse sur ces fonds. Y’aurait-il anguille sous roche pour que le ministre Diba, dans sa communication du 12 juin 2024 devant le Conseil des ministres, n’ait évoqué, à en croire le communiqué publié par le porte-parole du gouvernement, que le prochain débat d’orientation budgétaire à l’Assemblée nationale ? Cette omerta est de nature à accabler un gouvernement dont la transparence reste le crédo principal clamé. D’ailleurs, le public serait-il jamais informé de cette opération, menée en catimini, si Bloomberg n’avait pas vendu la mèche ? Par exemple, le gouvernement Sonko a levé près de 150 milliards de francs Cfa sur le marché financier de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa), en bons et obligations assimilables du Trésor ; à savoir respectivement 28 milliards le 3 mai 2024, 68 milliards le 31 mai 2024 et 50 milliards le 6 juin 2024. Seul le petit monde de la finance a été informé de ces opérations ; nonobstant d’éventuels prêts directs souscrits avec des banques de la place. Dans une autre époque, les services du Trésor public sortaient systématiquement des communiqués pour en rendre compte.

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Le risque de se fâcher avec les marchés financiers formels

Le programme signé entre le Fmi et le Sénégal prévoit un décaissement, en juillet 2024, de 230 milliards de francs Cfa sous forme de prêt concessionnel. Mais on peut s’inquiéter pour un tel décaissement. En effet, il peut apparaître quelque peu incohérent pour l’institution financière de continuer à prêter à un pays dont il a fini de relever, à la face du monde, qu’il se trouve dans la merveilleuse et enviable situation de «surfinancement». Peut-être aussi que le Fmi pourrait faire appliquer son vœu ou préconisation, qui jusqu’ici paraîtrait comme une simple clause de style diplomatique, d’utiliser les ressources empruntées pour racheter des dettes plus chères et à maturité immédiate. Les prêts concessionnels sont en effet à des taux d’intérêts quasiment nuls. Il demeure que le Sénégal aura grand intérêt à éviter de froisser le Fmi car, sans son accompagnement, le pays ne pourra plus recourir aux marchés internationaux formels ou réguliers, et s’exposerait, pour le financement de son budget, à des fonds spéculatifs ou «fonds vautours». En dépit de tous ces fonds déjà empruntés, le gouvernement garde encore un gros reliquat dans l’autorisation parlementaire d’endettement contenue dans la Loi de finances initiale 2024.

Une manne à la Bceao ou une vulgaire fiction comptable

Le commun des Sénégalais constate des difficultés ou des tensions de trésorerie au niveau des administrations publiques. Des projets et programmes sont à l’arrêt faute de financements et de nombreuses entreprises attendent des paiements échus. La fête de la Tabaski a été l’occasion de constater des problèmes de trésorerie, alors qu’on nous dit que le Sénégal disposerait d’une position à la Banque centrale qui devait excéder un solde créditeur de 1000 milliards de francs Cfa dont près de 800 milliards encaissés le 11 avril 2024 (324 milliards) et après le 5 juin 2024 (450 milliards). On veut bien croire que cet argent est réellement disponible, car le Fmi assure qu’il «ne spécule pas». Sa mission n’a certes pas visité la Bceao et s’est suffi des assurances du gouvernement. En tout cas, tout mensonge à ce niveau pourrait avoir des conséquences fatales. Une pareille ambiguïté, pour ne pas dire nébuleuse, doit interpeller au premier chef les députés qui attendent, dans les prochains jours, le Premier ministre Ousmane Sonko pour une Déclaration de politique générale.

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Le ministre des Finances et du budget est aussi attendu pour l’examen d’une Loi de finances rectificative et un débat d’orientation budgétaire. La majorité parlementaire Benno bokk yaakaar (Bby) doit se sentir bien concernée, elle qui observe des attaques en règle de la part des tenants du nouveau régime qui se défaussent systématiquement sur leur gestion. A l’opposé, le Fmi constate que le pays reste liquide. Qu’est-ce qui cloche ? Comment avoir des difficultés pour fonctionner alors qu’on aurait autant d’argent dans les livres de la Bceao ? Il reste qu’on relèvera quand même que la signature du Sénégal n’est pas si chahutée ou abimée qu’on a voulu le faire croire, si le régime de Bassirou Diomaye Faye a pu lever, en un claquement de doigts, sur une courte période d’un mois, plus de 600 milliards de francs Cfa sur les marchés ! Rares sont les pays africains qui peuvent se targuer d’une telle confiance des investisseurs.

Les ratios d’endettement du secteur public, suite aux dernières actualisations, sont hissés à plus de 85% du Pib. Un niveau de pic que le Sénégal n’a jamais atteint auparavant. En décembre 2023, l’évaluation du Fmi portait la dette de l’administration centrale à 73,8% du Pib et la dette totale du secteur public à 81,2% du Pib. Tous les tabous sont tombés et cela place le Sénégal dans une «situation de pays à risque élevé de surendettement», avec ses conséquences sur sa viabilité économique et sociale !

* Par Par Madiambal DIAGNE
mdiagne@lequotidien.sn

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